Le talent et la sueur...
Comme je l'évoquais dans le premier billet sur ce site, les artistes éveillent un fantasme dans l'imaginaire populaire : l'auteur qui serait par miracle touché par la muse puis, dans une sorte de fièvre créatrice, produirait un chef d’œuvre. Bien sûr...
On parle de talent pour presque tout : les langues étrangères, la cuisine, l'Art, le bricolage, la broderie, le sport,... Mais quelle est vraiment la place de ce talent par rapport au travail ?
Selon mon pote le Larousse, le talent c'est simplement l'aptitude particulière à faire quelque chose et une capacité, un don remarquable dans le domaine artistique. Cette capacité vient d'où ? Y aurait-il, comme dans les contes, une bonne fée qui se pencherait sur certains poupons pour leur octroyer quelque don remarquable ? Posons la vraie question : est-ce la capacité ou le désir qui vient en premier ? La meilleure réponse nous vient d'un grand monsieur de la chanson : Jacques Brel. Dans un entretien radiophonique, plus précisément une interview à Knokke (Begique), le chanteur expliquait : Je suis convaincu d'une chose : le talent ça n'existe pas. Le talent c'est d'avoir l'envie de faire quelque chose. Je prétend qu'un homme qui rêve tout d'un coup qu'il a envie de manger un homard. Il a le talent, à ce moment là, pour manger un homard, pour le savourer convenablement et je crois qu'avoir envie de réaliser un rêve, c'est le talent. Tout le restant, c'est de la sueur, c'est de la transpiration, de la discipline. Je suis sure de ça. L'art je ne sais pas ce que c'est. Les artistes, je connais pas. Je crois qu'il y a des gens qui travaille à quelque chose.
Si on décide de parler de désir, il semble impossible de croire que ce dernier suffira. Un prodige du piano devra passer des heures à son instrument. Peu importe nos facilités, sans sueur elles ne resteront que cela, de simples facilités. Dans le sport de haut niveau, personne ne viendrai remettre en question la valeur d'un entraînement assidu. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour un écrivain, un peintre ou un sculpteur ? Concentrons-nous un peu sur la littérature, domaine que je connais le mieux...
Le fait est que les grands auteurs sont des travailleurs acharnés. Pour preuve, il suffit d'un tout petit coup d’œil à quelques manuscrits... Ratures, notes : on peut voir combien l'auteur travaille son texte.
Le grand Charles Dickens, par exemple, avec A Christmas carol :
Un autre exemple ? Monsieur Flaubert écrivait dans sa correspondance : « Dieu ! que ma Bovary m’embête ! J’en arrive à la conviction quelquefois qu’il est impossible d’écrire » - lettre à Louise, 10 avril 1853. Cet extrait – ainsi que la photo du manuscrit au-dessus-, nous montre à quel point ces auteurs travaillaient pour produire un texte un abouti.
Le psychologue suédois K. Anders Ericsson s'est justement penché sur cette question. Pour se faire, il a mené des recherches dès les années 90. Avec deux confrères, il s'est intéressé à la pratique de violonistes de l'Académie de Musique de Berlin. Il a divisé les musiciens en trois groupes : les futurs solistes, les interprètes de bon niveau et ceux destinés à une carrière dans le professorat. Tous ayant commencé à 5 ans. Ceux du premier groupe atteignaient (avec plus de 30 heures par semaine de paratique) au moins 10 000 heures d'exercice. Le deuxième groupe arrivait quant à lui à 8000 heures et le troisième 4000 heures.
Cette « théorie des 10 000 heures » a été popularisée par le journaliste du New Yorker Malcolm Gladwell dans plusieurs ouvrages sur la réussite. Même le neurologue Daniel Levitin le confirme : « Que les études portent sur des basketteurs, des romanciers, des patineurs, des joueurs d'échecs ou des criminels passés maîtres, le nombre des 10.000 heures revient constamment ».
Dress rehearsal - Greg Olsen
Face à tout cela, certains risquent de se décourager : « Il est trop tard pour moi ! J'ai déjà X ans... alors 10 000 heures, ce n'est même pas la peine... » Premièrement cette théorie n'est justement qu'une théorie. Elle signifie simplement que le travail vient d'abord. Peu importe le niveau de départ, à l'arrivée c'est bien la pratique qui fait la plus grande différence. Deuxièmement, dites-vous bien que quelqu'un de 48 ans qui consacrerait 1 heure par jour à l'écriture ou à l'apprentissage du piano, aurait toujours, à 58 ans, 3 650 de pratique de plus que celui qui se serait découragé. Bref, le travail n'est jamais perdu !
Alors, prêt à se retrousser joyeusement les manches ?